Calme et Ciel Tourmenté.

31 Mai 2020
Un matin de la semaine dernière, ma fille me dit, juste après m’avoir dit bonjour, je t’aime, tu es merveilleux, que ferais-je sans toi : « Papa, tu dois être allé courir dans la forêt ce matin? ». Je lui ai répondu : « Ah! Qu’est ce qui te fais dire ça? ». Je me suis dit qu’elle avait dû remarquer mes habituels mollets un peu boueux et égratignés… Elle me répond : « Tu dois être allé courir dans la forêt, parce que tu es vraiment de très très bonne humeur ce matin! ». Ça m’a donné comme un électro-choc, une petite collision frontale matinale. Un détail qui pouvait paraitre assez banal à vue d’œil venait de me happer de plein fouet. Je venais à l’instant de me rendre compte que même un enfant de dix ans était en mesure de constater l’effet bénéfique d’une bonne course sur mon humeur général et était donc en mesure même de décrypter mon langage corporel suite à cette même activité. Puis à l’inverse, quelques jours plus tard, j’ai dû négocier avec le présage orageux et ténébreux du retour d’une blessure que je croyais déjà derrière moi depuis un moment, je me suis senti en chute libre dans l’abysse du côté obscur de la force. (En lien : https://www.ghostrunnerblog.com/post/le-triangle-des-bermudes ). J’ai donc eu, en l’espace de quelques jours, l’occasion de constater les bienfaits évidents de la course à pieds, autant que l’état d’inquiétude et de quasi dépression ou pouvait me propulser cette même activité bienfaisante. Par chance pour moi, je crois bien que c’était simplement ce que l’on appelle une « Douleur Fantôme », un grand classique post fracture de fatigue, d’après mes lectures amateures. Le tout croisé d’une très mauvaise journée comme tout le monde en croise occasionnellement. Depuis j’ai donc la sensation que c’était plutôt un signal d’alarme, qui me rappelait d’y aller avec prudence et de rester dans des paramètres avisés de progression, de retour à l’action, de volume de course et de somme de dénivelé positif modeste dans la mesure du possible.
C’est donc un de ces moments ou je me rends bien compte qu’il est tout aussi possible de surfer de bonheur une journée entière sur la vague parfaite d’une bonne course au seuil, autant que de basculer du côté obscur de la force du sport intensif pour une sortie à saveur plutôt négative. Ce sont donc des indices qui prouvent bien que l’addiction au sport, à l’activité, à la performance, à la progression, possède bel et bien deux versants totalement opposés. Deux versants sur lesquels il est possible de dévaler à toute allure, sans trop s’en rendre compte, puisque qu’ils sont assez similaires en apparence. Dans les deux cas on parle d’une belle poudreuse toute neuve du matin sur laquelle la glisse est parfaite. Il n’y a qu’une fois en plein milieu de la pente, que tu peux te rendre compte qu’en bas ce n’était pas nécessairement la station souhaitée qui t’attendait. Je suis bien conscient du côté obsessif et obsédant de ce mode de vie de coureur de fond, de coureur de trail, autant que de son côté gratifiant sur le plan personnel. J’ai le sentiment que tout humain se livrant à ce genre d’activité possède quelque part en lui cette fibre obsessive qui pousse l’être à se dépasser continuellement. C’est aussi, de mon point de vue, la seule façon de réaliser de grande chose, avec un soupçon d’obstination et une bonne dose d’obsession. C’est la recette pour réussir il me semble. Je n’en serais clairement pas ou j’en suis professionnellement aujourd’hui sans cette obsession "À réussir" qui m’a toujours habité. L’Amérique n’aurait jamais été découverte sans l’obsession de Christophe Colomb pour le passage vers l’Inde. Les vaccins n’auraient jamais été découvert sans l’obstination de Pasteur pour l’avancement de la science. Les Américains n’auraient jamais posé le pied sur la lune, sans leur obsession et leur obstination à vouloir être les premiers dans tout. Bref, l’obsession peut clairement mener de très grands projets à terme. Mais elle demande aussi à prendre un chemin souvent un peu isolé, solitaire, disons moins « Populaire ». En nous faisant faire un peu abstraction des obstacles le long du chemin, du moins en les banalisants. Ces mêmes obstacles qui arrêteraient les moins persévérants au premier contact. L’obsession pousse également à foncer un peu tout droit en n’écoutant que peu les gens qui essaient de nous en dissuader pour diverses raisons. Tout ceci demande un équilibre entre la réalité et les mesures à prendre pour atteindre ce fameux nouveau sommet tant désiré. Il faut trouver une façon de garder le cap, sans se raconter que l’on garde le cap. Être complètement honnête avec soi et juste assez réaliste, pas trop, sinon cela risque de devenir profondément ennuyant et c’est profondément chiant de s’ennuyer…
Quand une personne te dit que c’est impossible, rappelle-toi qu’elle parle de ses limites et non des tiennes. – Inconnu -
Le fait de savoir que la bonne ou la mauvaise conduite d’un entrainement un jour banal pouvait changer l’ambiance générale de la maison m’a effectivement un peu ébranlé. J’ai lu beaucoup d’ouvrage ou il en était question à travers les années. Mais de se retrouver soi-même tout près du récit de ces mêmes ouvrages portent évidemment à réflexion. Il est clair que ma cote de bonheur générale a été grandement affecté cette année par les blessures. Mais comme m’a dit un jour mon père : « Après tout, ce n’est que de la course! ». J’essaie encore de m’en convaincre. Mais comme je suis merveilleusement entouré, il n’y a que mon bonheur de coureur qui a été atteint. Il est évident que le concept de blessure en course, est de loin la pire chose qui puisse arriver à un coureur, mais cela fait aussi parti de l’équation. Il est donc impossible d’en faire abstraction. Les longues périodes d’arrêt pour cause de blessures peuvent mener certain athlète à une certaine dépression. Le tout est de réussir et de pouvoir rester actif, si la blessure le permet. Si le corps arrive à garder une certaine forme, l’esprit semble heureux et la période de guérison devient moins pénible. Dans la majorité des cas, les gens s’abstiennent de courir pour toutes les raisons du monde, raisons toutes aussi discutables les unes que les autres. Mais dans un cas comme le mien, un coureur pour qui courir est devenu une façon de vivre, c’est l’opposé et la même chose en même temps, toutes les raisons du monde sont bonnes pour aller courir, raisons toutes aussi discutables les unes que les autres. Même une blessure. C’est souvent un calcul difficile à concevoir pour quelqu’un à l’extérieur du problème, mais il m’arrive de faire le choix entre aller courir sur une possible blessure et avoir l’esprit sain d’y être allé, ou rester au repos et ruminer du noir en me laissant happer par le côté obscur de la force. Tout ceci n’est pas raisonnable et plus que discutable, je le conçois bien. Mais l’important est de rester du bon coté de cette force et de ne pas basculer dans le gouffre.
Dans la vie il n’y a rien comme prendre conscience des choses, pour que ces mêmes choses changent ou dérivent un peu par elle-même. C’est donc chose faite pour moi cette semaine, assez de philosophie de marché aux puces pour aujourd’hui, je retourne donc courir dans ma forêt… Parce que je voudrais bien que ma fille me dise encore et encore juste après m’avoir dit bonjour : « Papa, tu dois être allez courir dans la forêt ce matin… ».
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