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L'Oeil des Sommets...!

  • Eric Champoux
  • 24 juil.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 7 jours

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Depuis des temps immémoriaux, bien avant l’apparition des villes dans les profondeurs des vallées, bien avant la création des routes et des sentiers sur les pentes rocheuses des montagnes, il était déjà là, flottant dans l’air vif, veillant sur le monde. Il n’avait pas de nom. Comment nommer un souffle, comment nommer une ombre ? Le nommer comme une simple créature vivante aurait été sacrilège. Cependant, les plus anciens, qui parlent encore la langue du suroît, l’appellent en chuchotant, secrètement, l’Œil des Sommets.

 

Souverain du ciel, descendant des blizzards sauvages et des tempêtes passées. Cette silhouette énigmatique, perchée sur une arête rocheuse ou un pic d’ardoise teinté de terre, vous regarde d’en haut, comme un souverain contemple son royaume, avec sérénité et assurance. Depuis des temps immémoriaux, ses ailes immenses recouvrent les sommets, dévoilent les cols, assombrissent les vallées, fendent les nuages. Ses plumes font voyager les poussières des sommets aux vallées, puis des vallons aux rivières et des rivières aux plaines. Il n’est ni oiseau ni bête. Il est souvenir et mémoire, il est observateur. Il est ce dont on se souvient quand tout s’estompe face au vent d’hiver.


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À chaque siècle qui compose les millénaires, lorsque le souffle perd son équilibre, lorsque le vent tourne, lorsque les murmures glacés descendent des cimes vers la terre, l’Œil plane. Il observe. Il sonde. Il n’est ni roi ni héros, mais il possède la capacité d’entendre ce que le granit ne dit qu’une seule fois pour l’éternité. Pour ce siècle encore, il descendit des hauts sommets des Pyrénées, la ou les crêtes s’affûtent jusqu’à blesser le ciel, jusqu’à narguer les nuages et provoquer les orages pour tester la détermination des petits hommes. Il tournoi alors sur cette orbite qui lui appartient. Il navigue à travers ces déferlantes de courant d’air comme s’ils les avaient lui-même dessinées. Même le vent, Dieu incontesté du ciel, n’ose troubler sa paix.

 

Jusqu’à ce qu’il le voie.

 

Un homme.

Seul.

Un humain défiant la grandeur de son monde, de son royaume. Un homme courant dans cet océan de roc et de verticalité, dont les pas semblent réciter des paroles anciennes. Des paroles déjà écrites depuis le commencement du monde, mais que chaque foulée ferait ressurgir dans des milliers de petits nuages de poussière. Puis, quand les cendres se redéposent sur la pierre, chaque mot redevient un soupir, une pause, jusqu’au prochain passage. L’homme ne se lance pas à la poursuite de quelque chose, il ne cherche pas à fuir. Il avance, droit devant lui, en accord avec le vent, les hauteurs et les éléments. Il monte toujours plus haut, son souffle en harmonie avec les pierres qui se succèdent sans fin. Son esprit, libéré par la course et animé par la grandeur de tout ce qui l’encadre. Innocent, il monte vers sa destinée. Cette dernière attend sagement, là-haut, dans le vent oblique des cimes.

 

Là-haut, perché à près de trois mille mètres d’altitude, il n’y a plus d’humains. Plus de chemins. Plus d’arbres. Plus de mots. Seulement la pierre dénudée, les nuages déchiquetés et le poids du silence qui précède les révélations et ce qu’elles laissent comme trace indélébile en vous. C’est dans cet endroit isolé du reste du monde que l’Œil émergea des nuages. Pas un bruit, pas un murmure, pas même un battement d’ailes. La sagesse incarnée, flottant au-dessus de tout. Il était là. Sa haute stature se découpant dans l’éclat du soleil, son ombre gigantesque glissant sur les murs rocheux aux couleurs intemporelles, suivant avec certitude les courbes géologiques du temps qui passe. Puis il se posa sur cette dalle minérale de forme austère, comme un trône.

Face à l’homme.

 

Le coureur reste alors immobile, comme un roc oublié. Son souffle court demeure son unique mouvement. À cet instant précis, il n’a plus besoin de penser ; il sait.

L’Œil des Sommets le regarde, un regard serein et perçant. Ses yeux ne sont pas ceux d’une bête ordinaire, ils sont ceux d’un protecteur, d’un gardien. Un juge sans haine, mais également sans pitié. Celui qui décide, celui qui juge du sort de tous. Dans ce regard brillait un appel. Pas une invitation. Pas un échange. Mais un verdict.

Le souffle de l’homme reste alors suspendu à l’immensité. Comme si son cœur battait une marche militaire sous un ciel orageux.

Et puis… L’Œil, d’un mouvement plein de grâce, se laissa tomber dans le vide, dans le gouffre, avant d’ouvrir ses ailes majestueuses de toute leur splendeur. Pur. Parfait. En chute libre vers la vallée éloignée, avant de planer vers les hauteurs du monde et de disparaître dans la couleur du ciel, comme d’autres plongent et disparaissent dans les profondeurs de l’océan.

 

Depuis ce jour, l’homme n’est plus qu’un simple homme.

Ils sont liés.

Ils partagent le même regard, le même souffle.

Choisi par la montagne et son gardien pour porter quelque chose de plus important que lui, de plus mystique.

On dit qu’il court encore, le long des arêtes rocheuses, que ses pas poussiéreux continuent de souffler des paroles anciennes.

Parfois, quand le soleil passe brusquement du midi à l’ouest, une ombre silencieuse plane au-dessus de lui, grande et glissante sur la pierre.

Car, dans le royaume de l’Œil des Sommets, les rencontres n’ont lieu qu’une seule fois.

Mais elles durent pour l’éternité.

Elles ne sont que retrouvailles.


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© 2022 par ERIC CHAMPOUX.

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