La Femme du Ciel...!
- Eric Champoux
- il y a 7 jours
- 4 min de lecture

On raconte que dans les hauteurs du monde, en direction des sommets, ceux pointant au plus près des cieux, entre deux cols isolés des Pyrénées, qu’il existerait une cabane. Un refuge qui abriterait depuis longtemps les soupirs essoufflés d’une histoire oubliée. Là, à l’endroit même où les sentiers dansent dans les longues herbes folles et où ils prennent vie dans cette lumière horizontale cousue d’or. Une cabane si seule, si solitaire que même le vent y annoncerait sa présence et son propre nom avant d’y pénétrer. Cette cabane née de pierres d’ardoise couleur bronze et de bois de pins à crochets vieilli par le poids de l’Âge. Repaire d’anciens bergers immortels, cachette des contrebandiers d’outre-tombe, abri des baroudeurs des sommets et des crêtes brumeuses semblent encore aujourd’hui défier le temps qui passe autant que les intempéries. Elle aurait été le refuge de plus d’un humain face à l’adversité et la rudesse de cette grande nature.

Dans ces Pyrénées aériennes, là où le reflet cru de la lumière et les nuages voyageurs semblent respirer d’un seul et même souffle. C’est à cette croisée des chemins que se dresse cette construction intemporelle, cet humble bâtiment témoin des orages ignorés et des pas perdus dans la poussière. C’est également ici qu’un jour, un homme et une femme s’aimèrent entre ciel et terre, côtoyant montagnes de vents Norois et marées de nuages vaporeuses.

Cet homme aimait la montagne. Il l’aimait comme on aime la beauté, sans réflexion, sans appréhension, sans jugement. Il parcourait avec passion les sommets et les vallées pour respirer l’air se trouvant encore plus haut que ses propres pensées, bien au-delà même. Ses foulées traçaient des sentiers invisibles à l’un et éternels pour l’autre. Zigzaguant entre les pics, les cols et les aiguilles. Le vent et ses subtilités lui servaient de compagnon et la teintent des nuages de boussole, le torrent d’écho, le ciel de baromètre. Mais chaque soir, au retour d’une nouvelle escapade, le silence pesait. Inévitablement à force de marcher, de courir vers le ciel, toujours plus haut et toujours plus loin. Il en avait oublié l’humanité, comment parler aux âmes, comment côtoyer l’autre.

Une nuit d’orage, une nuit sombre et profonde. Alors que l’homme avait trouvé refuge dans cette cabane à la recherche d’un toit et d’un abri, le vent entra : une rafale puissante s’engouffrant dans les interstices des planches de pin à crochet, courbées par l’âge. Un souffle de vent annonçait l’arrivée de cette dame céleste, la Femme du Ciel. Elle surgit dans un éclat de lumière, un éclair pur et diaphane. Elle entra, vêtue de brume fiévreuse et d’écume de nuage. Dans ses yeux le reflet des lacs solitaires et la mémoire de toutes les tempêtes passées faisaient écho à la brillance de son cristallin.

— « Tu avances trop vite, humain, dit-elle doucement, si vite vers quoi, vers ou? Tu effleures les chemins sans les savourer, sans prendre le temps de les rencontrer. Même la montagne ne t’a pas encore reconnu ni accepté tellement tu sembles te contenter de la survoler. »
L’homme, ébloui par sa splendeur et ses paroles tranchantes, répondit :
— « Et toi, femme du vent, que cherches-tu à souffler au travers de mes pas ? Que penses-tu trouver dans mon tracé une fois la poussière déposée? »
— « Ton cœur. »

Alors, depuis cet instant l’homme de la terre et la Femme du Ciel s’aimèrent sans limite, dans la clarté innocente des aurores colorées et la morsure brûlante du vent glacé.
Elle lui apprit alors à écouter les murmures du vent du nord;
Il lui enseigna la délicatesse de la marche sur la mousse et sur les tapis d’aiguilles de pin. Cette façon de se déplacer sans écraser, la légèreté aérienne d’un corps qui se pose sur le sol, juste assez pour se hisser encore plus haut.
Quand il courait, elle l’enveloppait de cette brise amoureuse.
Quand il s’arrêtait, elle se posait sur ses lèvres comme un baiser brûlant comme le vent d’Espagne.

Mais leur amour défiait toutes les lois de la montagne et du ciel :
Elle ne pouvait demeurer plus longtemps parmi les hommes et leur fragilité,
Et lui ne pouvait la suivre là où l’air devenait trop léger pour les cœurs battants de cette humanité.
À la toute dernière aube de l’été, la femme remit à l’homme une flûte de frêne grossièrement sculptée :
— « Quand tu sentiras le souffle t’abandonner dans les hauteurs du monde, joue un air de cette flûte face au vent.
Le vent caressant ton visage te portera ma réponse où que tu sois. »
Et elle disparut dans la lumière verticale, emportée vers le ciel par les courants volages.

Depuis, l’homme ne fut plus vu en bas dans la vallée parmi les hommes d’en bas.
Certains racontent que depuis, il ne quitterait plus les sommets acérés, pour terminer son existence au plus près de son amour.

Mais parfois, au crépuscule, entre chien et loup, les promeneurs des crêtes affirment entendre un sifflement mélodieux naviguer entre les rochers — une mélodie qui unit encore et pour toujours la terre et le vent.
On dit que quiconque monte à ce refuge, et s’arrête un instant pour écouter le silence, peut sentir une caresse invisible effleurer leur visage.
C’est elle devant l’éternité.

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