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Le Jour d'Après...!

Un océan de solitaire.

18 Octobre 2021


- Abandon : Ne plus poursuivre quelque chose qui était en cours ou en projet, ne plus utiliser quelque chose, y renoncer définitivement. -

Qu'est-ce que cela peut-il signifier? Pour être franc la réponse pourrait être monstrueusement longue et complexe, débordante d’analogies, de métaphores et de figures de styles de tout genre. Elle pourrait tout aussi bien être d'une simplicité monumentale et tenir en un seul petit mot, échec. Je crois quand même que dans tout et pour tout, l’important est de toujours relativiser. Mais ici, même en relativisant, n'en reste pas moins qu'abandonner quelque chose, c'est véritablement abdiquer, capituler, c'est vraiment y renoncer, pour de bon.


L'abandon en course à pied ne déroge à aucun de ces principes fondamentaux. L'abandon demeure la renonciation à poursuivre une route, un projet, un but. Quand le coureur « Stop » sa montre avant d’avoir franchi la ligne d’arrivée, ce n'est pas qu'un simple chronomètre qui s'arrête, c'est un peu un monde qui s'effondre. Au départ j'étais une forteresse imprenable et quelques kilomètres plus loin je suis un champ de bataille abandonné. Il faut alors se relever pour constater que oui nous sommes battus, mais pas complétement anéanti.


Je crois profondément que le pire moment dans un échec n’est pas le jour de cet échec, mais bien « Le Jour d’Après ». Puisque c’est le moment où tout se décide où tout prend une certaine forme. Le moment où l’on arrive seul à la croisée des chemins et où l’on se doit de choisir quelle route il nous faudra prendre pour la suite.



J’ai écrit ces quelques lignes il y a exactement une semaine. Juste après avoir abandonné le 55km du Bromont Ultra, au 22ième kilomètres. Course à laquelle je participais pour la deuxième fois. Inutile ici de décrire les raisons qui m’ont poussées à cet abandon, ni les pourquoi du comment j’en suis arrivé à cette décision. Tout ceci est maintenant plus que futile. Cela n’a plus aucune importance et ceci m’éloignerais inutilement d’un sujet beaucoup plus passionnant. J’ai tout simplement « Stoppé » ma montre bien avant la ligne d’arrivée.


Le jour d’après cet échec, j’étais un coureur blessé dans l’âme. Ébranlé au plus profond de ses convictions. Tout ce qu’il me restait du coureur que j’étais le jour d’avant cet échec, était une paire de jambes, des poumons à tout épreuve, un cœur en acier trempé et un moral et une confiance en pièce détachés. Le doute alors s’installe, comme un cancer, comme le mal se propage dans certain film de science-fiction, sous forme d’une matière noire et gluante, qui se nourrit de tout ce qu’elle touche pour grandir, s’épanouir et couvrir toujours de plus en plus de surface, d’un être ou d’un objet, ou même d’un lieu.


Mais le hasard fait souvent bien les choses. Une semaine avant Bromont j’étais à Paris pour le travail. Et dans un moment de temps libre, faisant des recherches sur internet, se trouve à passer sous mes yeux une pub pour le Marathon de Paris avec en prime une vidéo 3D du parcours, qui je dois le dire, était plutôt alléchante. Je devais retourner au Québec très bientôt et revenir à Paris quelques jours après Bromont pour un nouvel engagement professionnel. C’est alors que sur un coup de tête, sans trop réfléchir, je me suis inscris au Marathon de Paris, qui se trouvait à être exactement une semaine après le 55km de Bromont. Un peu serré comme calendrier vous me direz, mais l’occasion était trop belle.


Mais, coup de théâtre, j’abandonne la course à Bromont. Premier abandon en sentier de toute ma vie, incluant même tous mes cross-country d’enfance et d’adolescence couru dans mon Abitibi profonde. C’est un sentiment totalement inconnu que je découvre avec amertume. C’est un revirement de situation tout simplement inattendu. C’est alors que le marathon de Paris que je regardais avec une confiance à toute épreuve, inébranlable, sans le moindre sourcillement est devenu immédiatement à mes yeux une immense bête à corne, rugissante et gluante, hurlant dans la nuit noire. Qui remettait en question toutes mes capacités à réussir quoi que ce soit, après l’échec de Bromont.


Et pourtant, me voilà donc par ce beau dimanche matin, frais et ensoleillé, sur l’avenue des Champs-Élysées. Prenant place, seul dans mon « sas » de départ dans la fraicheur du matin. Seul dans un océan de 35000 coureurs. Qui sont tous ici également pour une raison bien personnelle. Tous ont assurément un compte à régler avec quelque chose. C’est du moins l’histoire que je me raconte. Ce sont 35000 âmes qui vont courir seul, 42.195 kilomètres, accompagnés de 34999 coéquipiers totalement inconnus qui ont tous une bonne raison d’être sur cette ligne de départ. Se relever d’un échec est définitivement un drôle de sentiment. J’ai l’impression de chercher à retrouver le coureur que j’étais le jour d’avant, alors que je sais pertinemment que je suis toujours ce coureur. Mais j’ai la désagréable impression d’être dans la maison des miroirs, d’une foire estivale, à m’inventer des peurs et des doutes, sachant très bien que la seule chose à laquelle je serai confronté sera toujours mon propre reflet. C’est bien la preuve que courir, c’est en grande partie dans la tête, c’est un jeu de l’esprit permanant. Pour une seule mauvaise journée, une seule mauvaise course, j’en suis réduis à douter de mes propres capacités à terminer un marathon. Alors que quelques semaines plutôt, en m’inscrivant à ce même marathon de Paris, j’en étais à choisir à quelle allure j’allais le terminer en fonction de ma faculté de récupération de la semaine précédente.


Et bien, ce dimanche-là, malgré les doutes, malgré cette confiance qui m’avait quitté, malgré le coureur blessé dans l’âme que j’étais sept jours plus tôt. C’est ce dimanche-là, ce jour d’après l’échec, que j’ai traversé cette ligne d’arrivée, sur l’Avenue Foch, face à l’Arc-de-Triomphe de la ville Lumière. C’est ce dimanche-là que sans trop y penser et sans trop y porter d’attention, que j’ai réalisé mon meilleur temps, de tous les temps, sur un marathon sur route.


Je crois encore et toujours que le pire moment dans un échec n’est pas le jour de cet échec, mais bien « Le Jour d’Après ». Puisque c’est le moment où tout se décide. Le moment où l’on arrive seul à la croisée des chemins et où l’on doit choisir quelle route il nous faudra prendre pour la suite... Pour les prochains kilomètres…

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