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Courir Ailleurs 2.0...!

Dernière mise à jour : 3 févr. 2023

Une Ville dans le Sable.

22 Avril 2020


Voyager à la course et courir en voyageant, c'est aussi juste courir vers là, pour aller ici, en empruntant un chemin qui mène quelque part. Ou peut-être pas, peu importe en fait. C'est peut-être revenir sur ses pas. C’est peut-être poser un regard différent sur un monde que tu crois connaitre. Tout comme ces paysages en bord de mer qui changent complètement de personnalité et d’apparence à marée basse et qui retrouve leur intimité et leur paix à marée haute.

En Avril, il y a un an, je débarquais aux Émirats Arabes Unis. Quelque part entre l’Arabie-Saoudite et l’Iran. Un état souverain voisin de Dubaï nommé Sharjah dont la capitale porte le même nom. C’est la troisième plus grande agglomération émirienne. Également considéré comme le plus conservateur de tous les Émirats. La consommation d’alcool pour les non-musulmans y est formellement interdite, entre autres choses.


C’est un coin du globe extrêmement chaud, extrêmement sec et extrêmement différent. De par son coté extrêmement conservateur j’étais en droit de me demander à quoi allait ressembler mes projets de courses en orient. J’en étais à ma toute première visite dans cette partie du monde. Je cours partout et tout le temps. Je cours malgré tout. Dans le sens de malgré tout, peu importe contre quoi, contre vents et marées. Et non pas comme dans un piètre « malgré tout » avec une tendance défaitiste. Dans le cas présent les choses étaient un peu différentes comparées aux obstacles déjà rencontrés dans mes expériences précédentes de courses à l’étranger. C’était pour moi la première fois que je me frappais le nez à la culture même du pays. Du moins à distance cela pouvait donner l’impression d’être un éventuel « Challenge ». J’étais aux Émirats Arabes Unis pour le boulot, donc avec mon déplacement venait une série de recommandations d’usages de toutes sortes, religieuses, vestimentaires, langages et politesse, us et coutumes etc. Usages qui me laissaient croire que courir dans ce pays pouvait ou pourrait devenir un geste passablement étrange dans l’œil des locaux. Des recommandations comme, aucun tattoo apparent, aucun vêtement en haut du genou, pas d’épaules découvertes, autant pour les hommes que pour les femmes. Pas de pieds apparents, donc pas de sandales ouvertes et encore moins de pieds nus, spécifiquement pour les femmes. Bref j’en passe, la liste était assez exhaustive. J’avais donc embarqué tous mes vêtements de course d’été, avec quelques modifications. Seulement des t-shirts de course pas de camisoles, j’ai pris mes shorts de course sachant qu’ils étaient trop courts. Mais je me suis quand même procuré de très long short de Basket-Ball qui me descendait bien en bas du genou, comme les recommandations l’indiquaient. J’avais donc dans ma valise mon nouveau look de « Douche Bag » joggeur.

Arrivé à l’aéroport de Dubaï, tous les douaniers étaient vêtus de blanc de la tête aux pieds, en robes blanches, en djellabas blanches pour être plus précis. Tous portant ce petit couvre-chef, qui pour moi ne peut être QUE celui de « Numérobis » le célèbre architecte au talent douteux dans « Astérix & Cléopâtre ». Essayez donc de garder votre sérieux devant un douanier possédant un visage de caricature à la mine plus que sévère. Quand vous devez vous tenir debout comme un soldat de plomb devant un personnage plutôt hilarant sorti directement d’une bande-dessinée de votre enfance. Clairement, il n’y a aucune place dans cette pièce pour un bon fou rire incontrôlable, sachant que toutes offenses pourraient être punies par quelques coups le fouet. Je ne pouvais alors qu’imaginer sa maison, avec une porte au deuxième étage pour un futur deuxième étage, mais sans deuxième étage. Et les colonnes du porche d’entrée toutes de grandeurs différentes positionnées dans des angles tous différents. Un truc comme une mauvaise construction de bloc Lego en équilibre et avec en bonus un petit géranium! Bref, pour faire court, j’ai assez bien survécu à la douane et à mon fou rire de fatigue. Enfin une bonne nuit de sommeil à l’hôtel, sans coups de fouet, bien méritée m’attendait, à l’air climatisée.

Je me lève donc le lendemain en fin d’avant-midi. Après un café, je décide de prendre le taureau par les cornes. Je vais courir dans ce nouveau pays étranger tout neuf et méconnu. J’enfile donc mes shorts de « Douche Bag » et un t-shirt. Décidément, je me sens déjà à l’halloween, un peu en avance. « Quand faut y aller faut y aller! » (Hommage à Bud Spencer & Terrence Hill). À la sortie de l’ascenseur, j’arrive directement face à des membres du personnels de l’hôtel, qui me jettent un regard poli mais interrogateur. C’est peut-être simplement dans ma tête, mais avec mon déguisement d’halloween tout est possible. Moi-même, je ne vois que mon short quand je bouge. Je traverse le hall, je me dirige vers la grande porte d’entrée. La porte s’ouvre automatiquement devant moi… Et là, je sens l’air extérieur entrer comme le souffle d’un dragon sur mon corps et mon visage. Je pense évidemment que comme Dubaï est le Las Vegas du désert et ils ont assurément acheté les dragons de la sulfureuse Khaleesi pour garder l’entrée de l’hôtel. Puis, je me dis que c’est impossible. Alors ils ont de toute évidence oublié d’éteindre le chauffage du vestibule d’entrée, comme chez nous en hiver. Je suis arrivée en soirée la veille, c’était indubitablement plus frais. La dernière fois ou j’avais senti de l’air chaud de la sorte, c’était dans un sauna sec au « Spa - La Source ». Sauna sec ou j’avais déjà sans contredit établi mon record du monde d’endurance à la chaleur, à trois grosses minutes sans mourir et surtout sans disparaitre de la surface de la terre par auto-combustion. Pour un gars du nord comme moi, c’est simplement inhumain comme concept. S’asseoir dans une chaleur extrême et attendre que le temps passe, c’est débile, le tout sans bière fraiche par-dessus le marché. Je passe finalement le seuil de la porte. J’ai vraiment l’impression de faire un pas en enfer, si jamais l’enfer existe, c’est clairement avec ce même climat satanique qu’ils font régner l’ordre dans les soubassements de la terre.

J’avais évidemment un peu étudié les cartes du coin avant de me lancer à la course dans la fournaise brulante qui allait me servir de lieu d’entrainement. En théorie, il semblait y avoir différentes possibilités d’itinéraires aux alentours. Mais encore fallait-il quitter ce genre de centre-ville planté au beau milieu du désert. Cerclé de rues, de boulevards et de pseudo-autoroutes. Je me lance donc dans la direction la plus susceptible d’inclure du bonheur dans mon trajet. Par chance, je trouve rapidement un passage sous un viaduc pour avoir accès à la magnifique lagune qui sépare la ville en deux sections.



Deux semaines plus tôt, j’étais en Thaïlande, en vacances. Ou j’allais courir tôt le matin avec 36 degrés Celsius et 43% d’humidité, c’était déjà intense comme condition de course et complètement hors de ma zone de confort. Mais ici, je découvre rapidement ce que signifie 41 degrés Celsius et seulement 7% d’humidité. De toute ma vie, je n’avais eu les conduits respiratoires aussi secs. J’en conclu rapidement que le mois à venir deviendra pour moi un genre de futur entrainement pour le Marathon des Sables ou quelque chose du même genre, un truc avec beaucoup de sable sulfureux et un trop plein de cette chaleur diabolique. À ma prochaine sortie, je pourrais définitivement me payer le luxe de partir avec une réserve d’eau. Car évidemment très rapidement la soif se fait sentir. Je fais quelques kilomètres plutôt satisfaisants autour de la lagune principale puis je reprends la route de l’hôtel me préparer pour le boulot. Inutile de spécifier que j’étais le seul illuminé à courir ce jour-là.



Pour les sorties suivantes j’ai donc embarqué mon sac à eau Salomon. Celui qui me suit partout. Celui qui me sauve de tout. J’ai donc pu, avec quelques réserves d’eau, allonger tranquillement mes sorties. Et commencer à m’enfoncer un peu plus loin en territoire inconnu, dans la faune locale, si faune il y a. On se déshydrate à une vitesse fulgurante à ces températures « Luciferienne ». Je garde toujours sur moi par précautions mes capsules de sel, au cas ou je serais pris d’un coup de crampe subite. L’expérience précédente de la Thaïlande m’avait appris la méfiance sur ce sujet. Je suis un nordique, j’ai un ADN de Yéti, courir à ces températures infernales relève définitivement du défi pour moi. Comme je travaille de nuit durant cette période, je rentre à l’hôtel quand il fait déjà bien jour et déjà bien chaud. Je profite donc d’un rare vingt-quatre heures de congé pour faire une longue sortie de nuit. Je découvre alors un nouveau monde. La faune nocturne et tellement inattendue du coin. Rien de bien rock’n’roll rien de bien malicieux. Mais au contraire des familles entières dehors à 3-4 heures du matin. Parents et enfants. Tous assis ou allongés dans la fraicheur du gazon frais coupé, discutant. Me regardant d’un air plus qu’interrogateur quand je passe près d’eux au pas de course avec ma lampe frontale qui trace la voie. Leurs yeux apparaissent dans la nuit exactement comme ceux des familles ratons-laveurs que tu surprends à la sortie de ta tente en été quand tu as oublié un sac de chips vide au feu. J’ai vraiment la sensation de sortir d’un film de science-fiction, je me sens comme un genre de MadMax courant dans une ville plantée en plein désert, portant un surréaliste short de « Douche Bag » dans un monde ou tous les hommes portent une robe.



D’ailleurs ce short m’ennuie profondément. Il est tellement long qu’il colle en permanence sur la sueur de mes cuisses et créé une résistance et surtout un profond inconfort. Et quand je cours, je ne vois que lui, je vois mes genoux, c’est n’importe quoi. Je le porte simplement par respect pour les habitants et leurs coutumes. Mais quelques jours plus tard, je croise à la sortie de l’hôtel une jeune femme occidentale, en short de jeans coupé très très court, avec un top bien au-dessus du nombril et portant des sandales plus qu’ouvertes… C’est le moment précis ou j’ai pris la décision, le moment ou le « Douche Bag » a pris la direction des oubliettes pour de bon. Je me suis dit que si cette demoiselle arrivait à passer incognito vêtu de cette façon, je devrais bien être dispensé de coups de fouets de mon côté pour un simple short de course mi-cuisses.



Tranquillement, je commence vraiment à pouvoir élargir mon territoire de course. Je prends de nouvelles routes, de nouvelles rues, de nouvelles lagunes. Des rues construites littéralement dans le sable, déposées sur une parcelle de désert, avec rien d’autre que le vide autour. Pas un bâtiment, pas un stationnement, rien. C’est parfait pour moi, un minimum d’humain et un maximum d’espace. Des rues entières, ou les futurs quartiers ne sont même pas encore en construction, du vrai Numérobis. Des rues qui mènent nulle part. Je les prends toutes. J’essaie chaque ligne qui ressemble à un sentier, à un tracé dans le sable brulant. Cela me mène à toutes sortes d’endroits évidemment. J’ai fini un peu par accident par aboutir dans le port de commerce de la ville. C’était idéal comme sortie improvisée. Complètement dépaysant comme je les aime. Dans ce genre de moment, je ne sais plus si je cours pour prendre des photos, ou si je prends des photos pour courir. Je vois encore tous les marins fumants des « Camel » ou des « Marlboro » à l’ombre. Sur leurs bâtiments respectifs. Me regardant courir avec un regard investigateur, sous un soleil dantesque. Je suis l’occidental perdu en orient, impossible pour moi de le dissimuler, toute ma personne me trahit. Je ne me sens pas en danger, mais je ne me sens pas à ma place non plus. Je suis loin de mes rencontres Thaïlandaises. Ces habitants qui m’envoyaient la main, un pouce approbateur, ou un klaxon d’appréciation et un grand sourire pour souligner mon passage. Ici aucun contact avec l’étranger trotteur, aucune interaction avec le nord-américain galopeur.



Il a bien fallu que je trouve une façon de sortir de cette région semi-urbaine plantée dans le désert, pour éventuellement rejoindre la mer. Cette ville est construite, oui dans le sable du désert, mais également en bord de mer. Je devais trouver une façon d’aller poser au moins une fois mon regard sur le grand Golfe Persique. J’ai dû longer les longues et tellement désertes plages des différentes lagunes, la grande Al Khan Corniche entre autre, pour finalement atteindre un genre de bord de mer barricadé. Fermé par des clôtures et des barbelés et des panneaux « Keep Off », « No Trespassing » et plusieurs autres qui m’ont été impossible de lire. Un peu comme une station militaire, mais sans station militaire. Et pourtant ce n’était que le bord de mer. J’ai quand même pu voir le Golfe, mais comme vu de l’intérieur d’une cour de prison, c’est beaucoup moins sexy j’en conviens. Je constate alors que sur ma gauche qu’il y a un cours d’eau et d’autres lagunes et un éventuel accès à la côte. Ma prochaine longue sortie aura probablement pour mission de passer toutes les lagunes, une après l’autre, pour rejoindre officiellement le plus que légendaire Golfe Persique.



Quelques jours plus tard, je cours donc les trois lagunes bleues ciel. L’endroit est désert. Ou presque. Je croise à peine quelques passants. Pourtant je ne suis pas si loin du centre, à quelques kilomètres. Cette nouvelle section de ville semble totalement fantôme. Il n’y a que des chantiers de futurs buildings, des squelettes d’aciers plantés dans le sable jaune. On dirait des champignons qui poussent dans le sable du désert. C’est surréaliste comme vision, c’est vraiment MadMax. Les rues que j’ai prévues utiliser sur la carte, n’existe pas encore en vrai. Donc, je fais des détours et des détours. Le vent, les rafales de vent me laissent croire que je suis dans une mini tempête de sable. Je dois me couvrir le visage, les yeux et la bouche. J’ai du sable partout. Jusqu’au creux des oreilles. C’est exactement comme une tempête de grésil l’hiver, mais dans un barbecue. Je finis par rejoindre un lieu nommé Al Mamzar. Et enfin, pouvoir contempler le mythique Golfe Persique sans barbelés. Golfe sur lequel des navires marchands de toutes sortes et de toutes origines voyagent dans tous les sens, depuis des millénaires. J’ai un moment d’émotion.



De retour à l’hôtel, ma peau entière est recouverte d’une couche de sable bien uniforme. Avec le sable qu’il y a à l’intérieur de mes vêtements j’aurais pu me faire une dune juste pour moi sur mon balcon et en profiter pour faire du dénivelé. J’éclate de rire tout seul dans la douche en voyant la quantité phénoménale de sable que j’ai trimballé avec moi jusqu’ici. C’est officiel j’ai des grains de sables partout ou c’était possible d’en avoir. Les jours suivant les températures restent toujours les mêmes. En fait, tous les jours la température est identique, 40-41 degrés Celsius et 7-8% d’humidité.

Un matin, je suis rentré un peu plus tôt du travail, à l’aube. J’en ai donc profité pour aller courir avec le lever du soleil. C’est alors que j’ai croisé d’autres coureurs, des locaux, qui profitaient de la quasi-fraicheur du matin pour faire leur jogging également. Comme quoi même la fraicheur est un terme bien relatif. J’ai alors réalisé que les regards interrogateurs étaient beaucoup plus en lien avec le fait que je sortais courir au zénith du soleil comme un imbécile, plutôt que pour l’activité sportive en elle-même. Mais comme il m’était impossible d’aller courir aussi tôt la majorité du temps. J’ai continué à braver, à narguer le soleil de midi encore tous les jours, comme un imbécile. Alors que tout le monde s’efforçait de rester à l’ombre ou à l’intérieur à l’air climatisée. C’était pour moi un défi additionnel, que je me suis fait un plaisir de relever.


Courir dans un pays étranger pour moi, c’est vraiment voyager différemment. Je n’ai définitivement pas le même rapport avec les pays ou les villes ou j’ai tracé des kilomètres, qu’avec les autres ou j’ai simplement déambulé sans buts. C’est pour moi, se donner la peine de créer une relation plus intime avec un lieu, avec ses habitants. C’est vraiment se donner la chance d’apprendre à connaitre mieux. C’est donner la chance à une relation entre inconnus de devenir autre chose qu’un dialogue de surface. C’est toujours un peu comme un réel voyage au centre de la terre…


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