Percée.

14 Juin 2020
Mon but ultime en course à pieds est tout simplement de battre Apollo Creed. De le battre au moins une fois par semaine et si possible plusieurs fois dans la même semaine. À noter que cela ferait passer Rocky Balboa pour un petit joueur si cela se savait, je m’efforce donc de ne pas trop ébruiter la chose. Ensuite, la grande question est : Qui est Apollo Creed? Qui est mon Apollo Creed? Apollo est évidemment le boxer super musclé et flamboyant de mon enfance, celui qui bougeait sur le ring comme un danseur de R&B sur la piste de danse. Souvent appelé « Le Danseur Massacreur », celui qui était le Mohamed Ali de l’écran des Ciné-Parc des 70-80’s n’a plus besoin de présentation. Apollo c’est l’homme à battre, l’homme que Rocky devait battre à tout prix et qu’il a fini par vaincre, avec les yeux fermés par les hématomes en hurlant le fameux et maintenant mythique ADRIANNE!!!! Moi, mon Apollo Creed il est partout et dans tout. Un jour c’est un arbre auquel je dois me rendre plus rapidement que la veille. Le lendemain, c’est un tour de lac de plus que la semaine dernière, un autre moment c’est un segment Strava sur lequel j’ai perdu le record de circuit que je compte bien reprendre au plus vite. Une semaine c’est une nouvelle distance à abattre ou plus de kilomètres que l’an dernier à franchir. Sinon, c’est aussi faire plus d’intervalles en montée que le mois précédent ou plus rapidement. Ou gravir un nouveau sommet, même un tout petit, mais un de plus. Bref le boxer d’en face en course à pieds tu le choisis, c’est fabuleux non!? Tu peux en choisir un petit, un gros, un champion, un amateur, un de ta force, un plus fort, un plus grand. Rocky lui a perdu son premier combat contre Apollo par décision des juges. Il avait perdu une bataille, pas la guerre. Il a continué à bucher, à souffrir, à travailler. Puis dans Rocky2, Balboa devient ce fameux champion du monde incontesté que nous connaissons tous aujourd’hui. C’est à force de petites réussites que les champions deviennent de grands champions. Chaque gain, aussi infime soit-il, est en soit une victoire immense. Chaque objectif atteint est un petit championnat du monde gagné à lui seul.
La course de fond, la course d’endurance, la course de très longue distance, n’est peut-être finalement qu’une question de perception, la distance n’est peut-être pas si grande qu’elle ne parait. Parce qu’en fait quand on y pense, cela pourrait n’être que plusieurs petites courses les unes à la suite des autres. Cela pourrait n’être que plusieurs petits Apollo Creed à combattre sur différents rings. Qui une fois rassemblés forment un beau et grand trait coloré sur la carte du monde. Ce sont peut-être simplement une quantité « X » de petits trajets entre deux ravitos qui te mènent lentement mais surement d’un oasis à un autre, à ton but final, au bout de ta route, à la fin de ton voyage, à la fin de ta super longue course.
Quand on y pense bien courir 80 kilomètres de sentiers de montagnes est complètement différent que de courir huit fois dix kilomètres dans cette même montagne. Au final, la distance est identique, j’en conviens, mais dans l’esprit c’est un autre monde, une autre course, un autre combat, quasiment une autre distance. Une fois passé la ligne d’arrivé, c’est dix victoires au lieu d’une que tu te dois de fêter. Dans une course comme un Ultra, après trois kilomètres, te dire qu’il ne t’en reste que 77, ne peut pas t’encourager comme te dire qu’il ne te reste que 5-6 kilomètres avant le prochain ravito, avant de pouvoir choisir entre orange ou banane, entre patate ou bonbon. Ce n’est qu’une question de perception, une question d’angle de vue. Au cinéma, quand un réalisateur choisit de faire un cadrage super serré sur un personnage et son action, c’est pour éviter la confusion générale, pour éviter de nous perdre, pour centrer l’attention du spectateur sur certains détails précis de l’histoire. Si le film était en permanence en plan super large, avec toutes les musiques en même temps et tous les dialogues les uns par-dessus les autres avec tous les personnages ensembles dans la même pièce, comme dans la vrai vie, il nous serait impossible de comprendre précisément l’histoire qu’il cherche à nous faire comprendre. Elle serait trop confuse et déroutante. Puis on ne regarderait pas tous les mêmes détails évidemment, on accrocherait pas tous sur les mêmes discussions. Nous aurions tous différentes compréhensions d’une même histoire. Pour une très longue course c’est le même travail, focusser sur une petite section de sentier, sur de petits détails, zoomer sur un seul plan serré, nous garde bien loin de la confusion du plan super large. Un film c’est un plan à la fois dans un ordre précis, une course c’est la même chose, un plan précis sur une section à la fois, dans un ordre établi et à la fin on a une belle grande et belle course pleine de rebondissements et d’imprévus.
Je m’efforce donc d’appliquer cette façon de faire à tout, c’est-à-dire de diviser à peu près tout en portion de travail et d’avancer section par section. Beaucoup à l’entrainement, c’est ce que l’on fait toute l’année, s’entrainer. Les courses demeurent une infime partie de notre temps de course échelonné sur une année. Alors il vaut mieux voir son année d’entrainement comme un combat pour le titre mondial contre Apollo lui-même, puis un combat de championnat tous les mois, un combat de qualifications toutes les semaines et un combat local tous les jours. Des objectifs réalistes, de tous les niveaux. Certains plus faciles que d’autres à atteindre pour garder à l’esprit le plaisir de le faire et d’autre qui demande beaucoup plus d’effort pour garder la notion de dépassement et de combat bien allumé. Je suis Rocky contre l’Apollo de mon choix. Et alors le grand Apollo n’a qu’à bien se tenir…
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