Rencontre Matinale.
29 Avril 2020
AVERTISSEMENT : Ceci est une œuvre de fiction. Toutes ressemblances avec différents partis politiques, chefs d’états, systèmes politiques ou personnages de bande-dessinées, ayant réellement existés par le passé seraient purement fortuites. L’auteur n’illustre ici d’aucune façon ses opinions politiques ou ses gouts personnels en matière de châtiments corporels.
Ce matin en courant quelques kilomètres j’ai eu une pensée pour mon corps et la façon dont je le traite en entrainement. En fait j’ai eu plusieurs pensées. J’ai pensé qu’il était temps de faire les impôts, qu’il fallait dégeler quelque chose pour le souper de ce soir et que Tintin, étrangement, devait détenir le records Guinness des commotions cérébrales compte tenu du nombre de fois ou il a été assommé par un coup derrière la tête. Mais j’ai surtout eu quelques réflexions sur ma façon de négocier avec mon corps afin d’obtenir des résultats en course à pieds. En fait, tout le monde à sa façon de gérer la chose ou son opinion sur le dossier. Mais ce matin, je me suis surpris à discuter seul dans la salle de conférence de mon esprit, de mon rapport à la façon dont JE négocie avec MON corps.
Tout d’abord, je me suis dit que le corps humain et toutes ses ramifications, du cerveau, jusqu’aux muscles en passant par le mental, fonctionnaient un peu comme le fait une famille. Si un membre de la famille traine de la patte, ou si un autre n’accompli pas du tout ses tâches ménagères, c’est toute la famille qui doit redoubler d’ardeur. Si certains membres ont des attitudes discutables ou négatives, comme certain ados ou certains groupes de muscles, c’est souvent l’ambiance générale qui est affectée. Le corps du coureur que je suis, fonctionne exactement de la même façon.
Il y a certainement plus d’une façon de gérer une famille, différents systèmes, différentes approches. Mais j’explique depuis toujours à mes enfants qu’une famille, dans son fonctionnement, c’est tout simplement une « Dictature ». Que c’est diamétralement l’opposé d’une démocratie. Je m’explique. Les parents n’ont été élus d’aucune façon et ils prennent des décisions irrévocables et discutables en permanence. Les enfants ne sont pas élus non plus, ni mis à la tête d’aucun ministère par suffrage populaire. Les parents punissent sans procès, voir même sans lois claires et distinctes. Plus souvent qu’autrement sur l’impulsion comme un méchant Staline ou un redoutable Gengis Khan. Même si certains enfants ou certains ligaments croient qu’ils sont déjà « Chef de Cabinet » et que toutes réclamations de leur part méritent une nouvelle commission spéciale, aucune enquête publique ne sera mise en place pour savoir qui a terminé la dernière pinte de lait sans en prévenir les chefs d’état de la maison. C’est automatiquement un des enfants qui est en faute. Les parents, souvent, agissent sur un coup de tête, sans comités de citoyens, comme un certain Mussolini. Dans une famille, même s’il devait y avoir un référendum, peu importe les pourcentages, le « Non » l’emportera toujours si c’est le camp des parents. Je ne dis pas que c’est bien comme système, mais la réalité est que c’est comme ça que les choses fonctionnent chez moi. Je vis donc sans contredit dans une dictature dont ma femme et moi sommes les grands chefs en place. Pour faire une longue histoire courte, j’en reviens à mon idée première, mon rapport avec mon corps est exactement le même. C’est-à-dire que je sens bien la volonté de chaque secteur corporel, de chaque ministère anatomique de vouloir faire valoir son point et de faire adopter de nouveaux projets de lois pour assouplir et/ou alléger la vie et les tâches de chacun. Mais s’il fallait que chaque partie de mon corps soit membre d’un différent syndicat, avec différents représentants, différentes doléances et différents buts à atteindre, je passerais ma vie en réunion de conventions collectives avec moi-même, plutôt qu’à galoper des kilomètres de sentiers et de montagnes l’esprit libre et serein. Je ne laisserais donc personne, sous aucun prétexte faire basculer ma dictature corporelle en démocratie cérébrale.
Dictature : Régime politique qui se caractérise par une forme de pouvoir arbitraire, autoritaire, entièrement soumis à la volonté de celui ou de ceux qui gouvernent. Les tribunaux, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont alors directement liés aux décisions du dictateur. On n'y trouve aucun contrepoids: absence d'une presse libre, absence de parti d'opposition et absence de groupe de pression indépendant dans la société civile.
Pour un dictateur comme moi dans mon propre corps, certains champs d’actions sont plus faciles que d’autres à gérer et à faire travailler. Les muscles et tout ce qui concerne les membres externes, sont de véritables prolétaires. De vrai Renaud et Depardieu dans le « Germinal » de Zola. De bons travailleurs. Il suffit de bien les nourrir. Garder les débits de boissons ouvert et accessibles en tout temps. Les garder comblés sur le plan récréatif. S’assurer que leur cote de bonheur reste toujours bien élevé et ils seront toujours de mon côté. Ils seront toujours là pour me soutenir peu importe la difficulté de la situation. Et comme tout bon chef de chantier le sait, les ouvriers peuvent toujours en donner plus qu’il ne semble le démontrer, avec quelques bonus, quelques bons mots et à l’occasion même des félicitations. Il faut bien leur donner un peu de crédit au gars au fond de la mine de charbon, ce sont eux qui permettent de chauffer la ville entière en hiver. Si je garde ces travailleurs musculaires actifs et en santé avec quelques avantages sociaux bien choisi (Bain chaud, massage etc.), ils me le rendront au centuple. Mais les prolétaires sont des gens très influençables. Beaucoup de chose peuvent se raconter au « Pub » entre deux pintes, en l’absence du grand manitou. Alors méfiance.
Évidemment des ouvriers seuls ne peuvent pas faire fonctionner un chantier entier. Imaginez laisser les gars de la construction bâtir le Pont Champlain, sans architecte, sans ingénieur, sans contremaitre, sans chef d’équipe. J’ai certain doute sur le résultat, clairement au final on ne serait pas en face de la « Sagrada Familia » d’Antoni Gaudi en plein Barcelone. Donc autant dire que mes prolétaires seuls, sans patron, n’arriveraient pas à réaliser mes grands projets de courses. Le corps à besoin d’un chef d’orchestre. Beaucoup pense que le patron est de toute évidence le cerveau, mais c’est faux. Pour ma part le chef est bien au-dessus du cerveau. Le chef c’est MOI. J’arrive très souvent en situation extrême à quasiment m’extraire de mon corps et à commander le cerveau de l’extérieur qui lui transmet mes recommandations au reste du corps. Parce qu’il faut se le dire le cerveau est un hypocrite et un profiteur. C’est celui qui débarque au « Pub » avec ses grands discours et c’est grandes idéologies. C’est définitivement le chef du syndicat. C’est le gars qui est là pour faire ralentir toute ta progression quand tout va enfin à la vitesse que tu le souhaites. Mais en dictature, il n’y a pas de syndicat qui tienne, il n’y a que ta loi de chef d’état. C’est ton devoir d’instaurer le régime de terreur qui fait tenir les chaudières chaudes et fumer les grandes cheminées. Le même régime qui a servi à créer les plus grandes armées du monde ou à faire les plus grandes révolutions. Il n’en tient qu’à moi en tant que chef de garder les syndicalistes loin de mon corps et de mon chantier. Ici, le projet est de faire avancer une machine avec le maximum de rendement et le minimum de revendications, juste beaucoup d’efforts et de sueurs. Alors je me dois d’être le Franco de ma machine de course. Je me dois d’être intransigeant avec mon corps voire même le méchant, le mauvais, l’ennemi. Je ne peux laisser place à la discussion ou aux lamentations sinon c’est la démocratie qui me guette.
Une fois le cerveau au service de la dictature les choses commencent à rouler un peu toute seules. En surface du moins. Mais il reste encore à apprivoiser la bête noire de tout le système. Le marché noir, le king de la corruption, le « Kraken » du coureur de fond.
Le kraken ([krakɛn] ; transcription « krakenn ») est une créature fantastique issue des légendes scandinaves médiévales. Il s'agit d'un monstre de très grande taille et doté de nombreux tentacules.
Le plus récalcitrant de tous et j’ai nommé le cardio. Le cardio dans le corps du coureur doit tenir le rôle de quelque chose entre les services secrets, la mafia et une créature des profondeurs marines. Tout le monde voudrait fonctionner sans lui, mais au final tous doivent conjuguer avec sinon c’est l’hécatombe. Toute grande dictature se doit d’être en lien très proches avec ses services secrets. Presque jusqu’à leur laisser croire que ce sont eux qui dirigent le bolide. Sinon, un jour ils sont avec toi et le lendemain ils travaillent à ta chute. Le cardio comme le KGB ne sont pas des organisations que l’on veut avoir comme ennemi. Dans ce genre de rapport un monarque n’est jamais à l’abri d’un coup d’état surprise. Il est donc très important de ne pas laisser les syndicats et la mafia comploter ensembles et créer des alliances secrètes dans son propre corps car ils deviennent alors trop puissants. Manipuler les services secrets demande une certaine adresse. Mais avec l’expérience et une main de fer tout devient possible. Alors un bon dictateur se doit d’utiliser ses services secrets et/ou la mafia à leur plein régime pour faire régner l’ordre et faire progresser le mouvement sous la surface. Mais quand ton CIA/Cardio est efficace dans ces rapports avec le reste du corps, on parle d’un régime qui roule dangereusement bien. C’est alors le rouleau compresseur des bons résultats de courses qui se déchaine. Évidemment à certain moment il faut utiliser les rapports de force avec ce genre de collaborateurs et leur faire faire des choses qu’ils ne veulent pas vraiment faire. Le sale boulot. Puis par hasard la fois suivante ils le font sans trop rechigner. Ils prennent l’habitude. Le message passe. Il faut en permanence leur laisser sentir que tu as les choses bien en mains. Que tu sais ce que tu fais, même si à l’occasion tu doutes un peu de l’effort demandé à la machine. Et que tu ne sais trop si le bolide va résister et encaisser. Un grand sage dirait « Dans le doute abstiens-toi ». Le chef d’état en moi dit plutôt « Dans le doute, fonce jusqu’au bout. On en parlera plus tard ».
Être un bon chef d’état, veut aussi dire savoir quand lever le pied juste avant la mutinerie, juste avant le renversement. Sachant qu’entre temps ta machine de course aura atteint des objectifs, des records, des distances, des temps, des lignes d’arrivées. Et que tous les secteurs nommés plus tôt en seront gratifiés et heureux et donc prêt à souffrir encore un peu plus pour la cause… Pour la course.
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