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La Horde de Gaulois...!

Dernière mise à jour : 3 févr. 2023

De l'eau et du Roc.

23 Août 2020

Il était une fois, pas si lointaine, à peine quelques temps passés, disons quelques semaines tout au plus pour les besoins de l’histoire. J’ai reçu par pigeon voyageur contemporain une invitation à une course en sentier, privée. Dans mon esprit, cette convocation était digne des grandes invitations aux tournois de l’époque médiévale.

Le terme "tournoi" vient du latin tournus, "tourner autour d'un cercle". A l'origine, il était employé pour tout combat de chevalier à cheval, que ce soit lors d'une guerre ou lors d'un simple jeu. À l’époque l’on convoquait tous les chevaliers d’une même région à venir entrechoquer le fer, à venir démontrer leurs qualités équestres et leurs valeurs autant physiques que morales. Les enjeux étaient parfois courtois. On se battait pour une belle ou simplement pour sa couronne de fleurs, pour l’honneur, ou même pour des gains purement symboliques.

Bref, j’étais invité à une de ces courses qui se sont naturellement improvisées en cette période de pandémie mondiale ou toutes les sortes d’événements ont tous été annulés les uns après les autres. Donc depuis quelques semaines, je savais que j’allais avoir la chance de courir dans une compétition amicale, une vraie course, avec d’autres humains, d’autres guerriers, d’autres coureurs des bois, comme moi, dans notre nature, entre nos arbres, nos rivières et nos sommets. Je savais que j’aurais la possibilité de "tourner autour d'un genre de cercle". L’idée de croiser le fer avec mes semblables me faisait évidemment rêver.


Malheureusement pour moi, j’ai dû me rendre à l’évidence qu’il me serait impossible de courir les 30 ou 50 kilomètres de montagne prévus, avec mes deux tendons d’Achilles en ruines. Tendons avec lesquels je négociais déjà depuis quelques semaines. Ma « monture » commençait à se rétablir au moment de la décision, mais pas assez pour se lancer dans l’aventure, pas assez pour sauter dans ce grand tournoi à saveur symbolique qui m’était proposé. C’est la vie. C’est la vie de coureur du moins. Et la vie fait souvent bien les choses. Puisque ne pouvant pas courir aucune des deux distances, rien ne m’empêchait d’y participer différemment, d’une autre façon. J’ai donc pris la décision de faire quelque chose que je n’avais encore, honteusement, jamais faite. Proposer mon aide comme bénévole de course. C’était définitivement enfin donner au suivant. J’avais la chance de redonner un peu de tout ce que j’avais pris à travers les années, c’est-à-dire, le temps, l’énergie et la bonne humeur de toutes ces personnes debout avant le lever du soleil, « les bénévoles ». Café à la main. Accédant à des points de ravitaillements souvent peu accessibles, par leurs propres moyens, dans le seul et unique but, de pouvoir nous faire courir, nous les coureurs, « La Horde », en toute sécurité, hydratés, rassasiés et immensément encouragés. Tout ceci avec comme seule et unique paye, nos sourires, notre politesse et notre admiration infini de coureurs, de membre de cette horde de coureurs des bois officieuse.

J’ai donc pu à ma guise, profiter d’un tout nouveau point de vue sur mon sport, sur mon activité, sur ma passion. Pour la première fois, j’ai pu participer de l’extérieur à ce grand tournoi amical. J’en suis sorti encore plus amoureux de cette communauté, de cette confrérie, je dois l’avouer. Quelle belle leçon d’humilité qu’une course de trail. Tous ces coureurs de différents gabarits, de différentes sphères, de différents calibres, réunis pour courir tous ensemble, pour "tourner autour d'un cercle", avec respect et diligence, sans réelle compétition, mise à part celle que chacun s’impose, juste par amour ou défi personnel.

Une ligne de départ imaginaire, un groupe qui ressemble plus à une meute d’amis au pub, à la taverne, dans un 5 à 7, ou à la foule hirsute d’un certain village d’irréductible gaulois, dont vous avez sûrement déjà lu les récits. Puis les enfants à peine sortis du lit, qui lancent un compte à rebours à haute voix en canon involontaire, devant le troupeau de guerriers multicolores, encore semi-endormi devant l’aube. Tous plus ou moins prêt à affronter la journée qui se présente ainsi que le grand cercle. Tous discutent pendant le décompte, on y entend presque des recettes de bouillabaisse et de hachis parmentier, « Un soupçon de persil et de romarin et c’est Toutatis en culotte de velours… ». Quasi personne ne semble s’échauffer ou ne s’étirer. Tout ceci me parait très médiéval, j’aime ça, c’est définitivement fait pour les durs de durs ou les insouciants. Si j’avais ajouté un ballon ovale au centre de ce groupe de villageois, j’aurais définitivement été l’inventeur du Rugby. Nous sommes très loin des départs officiels de course sur route, avec le « Starting Pistol », le maitre de cérémonie et ces blagues douteuses, sur fond de musique électro et l’attitude souvent hautaine des coureurs élites en première ligne qui ressemble plus à des formule1 sur leur grille de départ, faisant gronder leurs moteurs au nom des grandes écuries, sous les regards impressionnés. Puis voilà que dans un nuage de poussière digne d’une page couverture d’Uderzo, la meute de joyeux lurons s’élancent, discutant et riant, sous les quelques encouragements disparates de conjoints, conjointes, enfants et amis. Puis de loin, voir deux ou trois retardataires, à peine sortie de leurs voitures, presser la foulée pour rejoindre le groupe de galopeur déjà en silhouette dans le soleil levant, sur fond de forêt obscure et de montagnes pas si lointaines, peut-être pas assez lointaines puisqu’il faudra bien les gravir tôt ou tard. Tous un pied devant l’autre pour la même cause. Côtoyer la forêt et les éléments du point « A » jusqu’au point « B ». Souffrir, avec le sourire, endurer dans la bonne humeur, garder le moral devant l’inconnu, pour éventuellement rejoindre les copains pour une cervoise tiède à l’arrivée. Exactement comme si l’on venait simplement de faire une balade… Une très très longue balade dans un samedi matin du mois d’août.

C’est là que mon rôle de soutien prenait place. Comme les balises avaient déjà été enlevées deux fois dans les derniers jours avant la course, soit par des gens simplement mal intentionnés, soit par des amoureux de la nature qui ne comprenait pas pourquoi des rubans d’arpentages poussaient soudainement aux arbres. Nous devions s’assurer d’aider au maximum les coureurs à rester sur le parcours et à revenir à bon port. Je devais donc me déplacer à différents points critiques sur le parcours pour pouvoir indiquer la route à suivre aux coureurs, ainsi que de re-baliser certaines sections. J’avais donc une position privilégiée pour observer les chevaliers-coureurs tourner autour du grand cercle. Une position que je connais très bien de l’intérieur, mais assez peu de l’extérieur. Constater comme certains semblent tellement à l’aise, d’autre hyper concentrés, certains magnifiquement nonchalants ou inconscients et quelques-uns évidemment un tantinet inquiets. Et les regards qui changent kilomètres après kilomètres. La fatigue commençant à apparaitre chez certain, la même et perpétuelle vitesse de croisière qui demeure pour d’autres, et des envies d’abandons lisibles également sur quelques visages. Puis quelques heures plus tard, voir le premier coureur arriver, avec 50 kilomètres de montagne dans les jambes, passer une ligne d’arrivée tout aussi imaginaire et gauloise que la ligne de départ, arrêter son chrono, prendre une bière dans le Saint-Graal qu’est la glacière, ouvrir sa cervoise froide, très froide pour la cause. Puis, remonter la même montagne en marchant d’un pas alerte pour rejoindre le deuxième qui n’est pas encore en vue. Simplement par respect et amitié de cette horde de coureurs-guerriers, par esprit sportif et de confrérie. Puis tous ensemble, attendre l’arrivée du dernier, des heures et des heures plus tard. L’applaudir. Puis prendre un verre en communauté, entre inconnus et moins-inconnus et surtout entre amoureux de cette pratique fantastique qu’est celle de courir des distances immenses dans nos forêts tout aussi immenses, avec des gens tout simples qui font des choses extraordinaires, tout simplement.

Je conseille définitivement à tous les chevaliers-coureurs-guerriers, d’un jour passer de l’autre côté de la table de ravitaillement et d’être de ceux qui permettent de faire « Tourner autour du cercle » d’autres chevaliers des montagnes.

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