Bleu-blanc, blanc-vert, bleu-vert-blanc.
14 Février 2021
Scène 01-A. Extérieur. Hiver. Froid.
Musique instrumentale. Apparition de grandes et larges montagnes enneigées à l’horizon. Tout est blanc-bleu, bleu-blanc. Les couleurs ont disparu pour se transformer en teintes glaciales. Le prisme entier des couleurs froides apparait dans le cadre panoramique. Les nuages se confondent autant avec l’horizon qu’à la chaine de montagne discontinue, pour ne former qu’un tout. Qu’un seul tableau. La pierre prend des teintes de glace. Les ombres dans la neige prennent des teintes de ciel. Le ciel devient roche. Quelque part dans ce tableau, une légère percée de lumière divine. Une lueur, puis un faisceau, puis un reflet. Une envolée d’oiseaux noirs. Dans un bruissement de papier glacé. Laissant l’immensité blanche, vacante, vierge, diaphane. Puis une colline parsemée d’arbre sombre, en silhouette, dans cette grandiose blancheur. Les nuages continuent à jouer avec la lumière. Comme le ferait un halo de fumée transperçant un feu éteint et toujours fumant de la veille. Puis de droite à gauche l’image glisse lentement sur une note suspendue de musique, laissant apparaitre le portrait complet et immense de ces sombres montagnes rayonnantes et de cette resplendissante vallée mystérieuse. Baignée dans les rayons de lumières sans cesse mobiles, incontrôlables, indomptables. Puis derrière, un paysage oblique et obstrué par un rideau de poudreuse soudain soupoudré par une légère rafale de norois. Les arbres semblent tous serrés les uns contre les autres, peut-être pour se réchauffer, ou simplement par mesure de gain d’espace comme des sardines dans une conserve oubliée. Tous ces arbres verts-bleus, bleus-verts, avec leurs cimes éternelles, laissant augurer la ligne hoquetante de l’horizon. Cette perspective qui se veut la base du ciel, d’où émane cette lueur grise-bleue, bleue-grise découpant à la perfection cette ligne lointaine, hachurée qui surplombe la vallée. Un oiseau passe à la vitesse de la lumière ou du son dépendamment de si on le voit ou si on l’entend. Le voile de neige tombante estompe toutes les lignes droites. Tout devient légèrement flou, comme un regard à travers une lentille givrée. Une forêt de bouleaux bien droits et bien blanc semble installée la, comme un sanctuaire, comme un lieu d’attente indéfini. Comme une cohorte d’être à la droiture indiscutable et à la sagesse indéniable. Tout est blanc-bleu. Dans la musique, d’euphoriques tambours battent ensemble un rythme familier, quelque chose comme une cadence cardiaque. Tous ensemble, au métronome, tous ensemble en symétrie. Battantes les percussions devant cette meute de bouleaux bleus-blancs qui guette l’entrée d’un monde. Puis la symphonie rythmée, laisse place à la neige et à son silence. Le bruit sourd du silence. Le bruit sourd du flocon qui se dépose sur cette terre hivernale. Un désert de neige, un désert de blanc. Cette neige, cette forêt, cette montagne, ces pierres, ces sommets, tous, tous ensemble sous cette neige argentée et sauvage. Puis un tracé. Sur cette page blanche, une ligne courbe, une ligne aussi blanche que le canevas qui l’accueil. Cette ligne dépourvue de droiture, cette ligne tortueuse, dans cette neige bleue-blanche. Cette ligne sans structure qui mène surement, assurément quelque part.
Scène 01-B. Toujours extérieur. Toujours hiver. Toujours froid.
J’avance dans l’intimité de l’infini. Sans trop me poser de question et en me posant mille et une interrogations en même temps. Tout est si simple et si complexe. Puis je m’arrête. Et puis rien, en fait tout et rien. C’est le vide de l’immensité et le plein de tout ce qui existe. Je sens bien le battement régulier de mon cœur dans mes tympans sous ma tuque humide et fumante. Mais à l’extérieur de ma boite crânienne, rien, rien et tout à la fois. Je ferme les yeux pour la première ou pour la millième fois. C’est comme si mon corps et mon esprit entier venait de tomber en apesanteur ou de se mettre à flotter dans la masse liquide et réconfortante de l’eau. Comme si je venais de mettre un pied à l’extérieur de mon habitacle spatial. Rien. Je sens la pression rassurante du silence libérer mes conduits auditifs autant que le bruit sourd du silence les remplir. Comme si je venais de revenir à la surface d’une plongée en apnée en grande profondeur, dans les bas-fonds des océans bleus-verts. À chaque arrêt, à chaque pause c’est un bouchon de silence qui libère la pression. Puis le vide s’installe dans mes oreilles. Que ce soit cette gravité qui nous garde collé au sol de nos vies ou cette pression permanente sur nos crânes venant de notre quotidien bruyant et tonitruant, à chaque halte mon corps respire ce silence. J’avance dans l’abîme. J’avance dans la proximité de l’éternité. Puis je m’arrête encore une fois. Je suis et poursuis ce sentier, tracé dans la neige devant moi. Quand je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, il me poursuit également. Une simple trace dans l’épaisseur de la neige qui me pourchasse autant que je la parcours. Tout ceci est éphémère, tout ceci est vivant. Cette ligne qui semble se faufiler entre les obstacles naturels sera complètement disparue après la prochaine tempête. Puis je vois des pas. Des empruntes dans cette neige immaculée. Des pas qui vont quelque part sur ce sentier enneigé. Mes pas. Mes pas déjà parcouru, déjà couru, puis devant, mes pas qu’il reste à franchir, qu’il reste à gravir.
Note au lecteur :
Tout ceci pourrait être un scénario de film. La toute première scène d’un Tarantino, ou d’un Wes Anderson. Mais tout ceci n’est en fait qu’une simple sortie de course en sentier par une belle journée d’hiver blanche-bleue, bleue-blanche, comme il s’en produit des dizaines par hiver. Mais comme dans tout et pour tout. Tout n’est en fait qu’une question de perspective, une question d’angle de vue. Ce n’est tout simplement qu’une question de point de vue.
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