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Partir Avec La Marée...!

La Manche et la brume

15 Mai 2022


« Partir avec la marée en course à pied, c’est partir au véritable bon moment, le moment où toutes les balises sont alignées. Et le bon moment n’est pas spécialement quand le « Starter Gun » sur une ligne de départ d’un événement retentit. »


L’air était marin et l’ambiance était enivrante et chaleureuse. C’était la nuit, il était même très tard dans la nuit. Les lampadaires laissaient entrevoir la façade en pierre élimée d’un vieux pub aux boiseries tout aussi éraillées. De la rue en pavé l’on pouvait entendre le sourd boucan des verres s’entrechoquant et les éclats de voix s’entre-coupants. Un fond de musique restait suspendu dans l’épaisseur de ce brouillard breton. La brume prenait place à l’intérieur même du pub, ou était-ce la fumée? C’était en Bretagne Nord, dans le port de Perros-Guirrec par un mois de février frais et humide comme tous les autres mois de l’année. Il y a longtemps déjà, j’étais presque jeune à l’époque. C’était la même époque où j’ai appris qu’en Bretagne on ne parle jamais de pluie, quand un vieux pêcheur local m’avait remis à ma place après m’avoir entendu dire qu’il pleuvait encore, en me disant, sans me regarder, « Tu sauras fiston, qu’en Bretagne il ne pleut que sur les cons », mais ça c’est une autre histoire. Et donc c’était la nuit et tout au fond de l’établissement deux personnages directement sortit de l’album « Sous le signe du Capricorne » du grand Hugo Pratt, discutent et boivent au rythme du « Biniou » Breton. Fumée, alcool, rigolade et histoires de mer comme grivoises sont à l’honneur. C’était pourtant cette même nuit, où j’allais apprendre l’importance cruciale de partir avec la marée.


C’était à une époque où mon ami Rafi et moi n’avions que très peu besoin de sommeil pour pouvoir être en mesure de braver l’océan, les vents, ou n’importe quelles intempéries, ou n’importe quel caprice de la mer comme de la terre, ou même encore de certains humains. C’est après avoir laissé le reste de l’équipage aller se coucher très tôt (Car ils avaient visiblement besoin de repos), que nous avons décidé de profiter de cette magnifique soirée bretonne pleine de crachin breton et de brume de la Manche pour se détendre un peu au « Pub ». C’est seulement en rentrant à notre bord, beaucoup plus tard, un peu éméché. Que nous avons été frappés par un moment de lucidité éthylique. C’était à force d’enfiler les scotch et les pintes de Guinness que nous avions oublié que notre bateau était amarré dans un port « à seuil »; un port avec un mur à l’entrée qui créait une piscine artificielle à marée basse évitant ainsi l’échouage aux voiliers à l’intérieur de l’enceinte du bassin. En revanche, à l’extérieur de cette même enceinte la mer se retirait, laissant place à une immense plaine de sable, de vase, de cailloux et de varech. Il fallait donc sortir le bateau du port et l’emmener en eaux profondes avant cette marée basse. Sinon cette nouvelle journée de voile tombait à l’eau! Dans ce coin du monde, manquer une marée, c’est manquer le bateau. C’est devoir partir douze heures plus tard. Tout ça pour quelques pintes et un ou peut-être deux Lagavulin… Ou c’était peut-être un Lagavulin et un Laphroaig… Ou peut-être bien un Aberlour et deux Balvenie… peut-être bien aussi quelques cigares également!


Bref! Nous étions là pour tirer des bords, manger de la déferlante et empanner en sauvage. Alors manquer douze heures de plaisirs spartiates pendant que le reste de l’équipage (Équipage manquant grandement de qualités marines) essayait tant bien que mal de gérer leur mal de mer, pas question! Nous sommes donc montés à bord directement à la sortie du pub, juste avant le l’aube, dans un brouillard opaque comme un mur de pierre, avec une vraie démarche de marin, un peu roulante et élastique. On aurait dit une aquarelle de Corto Maltese et Raspoutine à peine séchée dans l’atelier de l’artiste. C’est donc une fois à bord, une fois dans nos couchettes que le déclic c’est fait. « Mais il faut sortir le bateau du port!!! ». Nous nous sommes donc rhabillés, et nous sommes montés sur le pont en silence, comme deux contrebandiers dans cette nuit fraiche hivernale de la côte d’Amor. Nous avons donc démarré le moteur, largué les amarres et nous avons avancé dans la noirceur de la baie de Perros Guirrec comme deux corsaires en train de magouiller une attaque nocturne sur un sloop Anglais. Le brouillard était trop épais pour distinguer quoi que ce soit de près ou de loin de notre bateau. Nous avons donc navigué à l’estime, suivant un vague cap calculé rapidement et surtout sous les effluves de scotch et de bière. Après quelques minutes de navigation nous avons estimé que nous avions bien assez d’eau sous la quille pour une marée basse et qu’il serait vraiment trop dangereux de continuer d’avancer sachant qu’il y avait un gros rocher au milieu de cette même baie. Nous avons donc arrêté le moteur et jeté l’ancre et nous sommes retournés tous les deux nous coucher pour dormir les quelques heures qu’ils nous restaient et cuver notre alcool, avant de devoir repartir en utilisant la fin de la marée descendante pour pouvoir sortir de cette baie. Au réveil, la brume s’était à peine dissipée, au lieu d’être une brume noire d’encre elle était plutôt grise béton et tout l’équipage a pu constater que le bateau n’était plus dans le port. Mais qu’il était bien à l’ancre à quelques mètres à peine de « La Pierre du Chenal », une tourelle noire-rouge-noire signalant un danger isolé en plein milieu de l’anse. Aucun membre de l’équipage ne s’était rendu compte que le bateau avait navigué durant la nuit, piloté par nul autre que leurs deux comparses complètement embrumés par le houblon et le « Single Malt ». Nous avons donc pu se laisser porter par la fin de la marée descendante, juste avant l’étale de basse mer et avant que la marée s’inverse et nous coince dans la baie pour une grande partie de la journée et annule totalement tous nos efforts nocturnes. C’est bien cette même nuit là, ou j’ai appris l’importance cruciale de partir avec la marée.


Partir avec la marée en course à pied, c’est partir au véritable bon moment. Et le bon moment n’est pas spécialement quand le « Starter Gun » sur une ligne de départ d’un événement à grand déploiement vous pète les tympans. Même que je dirais que c’est rarement le « Starter Gun » le vrai bon moment, du moins pour ma part. Combien de fois je me suis retrouver en piteux état le matin d’une compétition, alors que deux trois jours plus tôt j’étais dans une forme exceptionnelle, qui aurait à jamais changer le cours de l’histoire du jour. Partir avec la marée, c’est savoir dans un plan d’entrainement quand nous sommes à notre meilleur, à la quintessence de notre forme physique et mentale. C’est savoir choisir le moment opportun pour chaque chose, au quotidien, comme à chaque semaine, comme à tous les mois et même pour toute une année. Simplement un bon matin, savoir profiter de la marée descendante, l’utiliser pour avancer avec elle… jamais contre elle, se battre contre la marée c’est comme décider de risquer l’ascension face à l’avalanche, c’est peine perdue avant même d’avoir commencé. Le parallèle est le même en entrainement de course à pied, pourquoi gaspiller un beau matin parfait à faire une petite récupération tranquille quand ton corps est prêt à courir un marathon et te demande de le faire. Et pourquoi se lancer dans une heure d’intervalles Olympiens quand ton corps n’a besoin que de repos… Parce que c’est écrit dans le plan d’entrainement? J’ai personnellement une liste interminable de mauvaises décisions prisent pour de mauvaises raisons dont j’essaie d’oublier l’existence.


Ce matin encore, je suis revenu de mon entrainement avec le sentiment d’avoir navigué au moteur, sur un océan sans un souffle de vent, avec tous les indicateurs du tableau de bord qui clignotaient en rouge, incluant même le « Check Engine ». Alors il a fallu faire autrement, impossible de rentrer au port pleine balle comme à l’habitude, toutes voiles dehors comme un « Surcouf » rentrant d’une chasse aux navires anglais dans la rade de Saint-Malo évitant tous les esquifs. Petit train va loin, alors il a fallu ramener le bateau au port sans faire surchauffer inutilement le diésel et prévoir cette sortie chargée d’efforts et dépassements à demain… ou après-demain. Pour ma part un plan d’entrainement est plutôt un guide qu’une règle. J’ai plutôt tendance à me concentrer sur la charge d’entrainement globale de la semaine plutôt que sur l’effort quotidien. Pourquoi aller faire un entrainement sur les genoux, que tu aurais faire dix fois mieux le lendemain?


Partir avec la marée en course à pied c’est découvrir ce moment précis où la force de l’océan s’inverse et savoir en profiter. Ce n’est pas travailler moins, c’est simplement travailler mieux. Il est obligatoire de revenir heureux d’un entrainement, le plus souvent possible du moins. Il faut donc s’ajuster en permanence à sa condition du moment. Une mauvaise nuit, mal de ventre, moral à plat, douleur par ici, courbature par là. La seule règle à ne jamais transgresser, c’est l’honnêteté avec soi-même. Un coureur qui se ment sur sa condition, que ce soit dans un sens ou dans l’autre finira indéniablement par percuter le rocher au milieu du chenal. Se mentir sur sa condition pour ne pas faire une sortie sous de faux prétextes, fera de toi le marin qui restera à jamais tout près de la côte, celui qui ne perdra jamais de vue le port, un marin du dimanche en quelques sortes. Se mentir sur sa condition et passer par-dessus ta véritable condition du moment, par-dessus tes blessures, ton état de fatigue considérable, ton surentrainement, ton manque d’entrainement, pourrais te conduire loin dans l’horizon des océans de ce monde, certes, mais tu n’en reviendras probablement jamais. Démâter au centre d’une tempête par négligence ou déchirer une grande voile trop usée ou prendre un mauvais cap à cause de la fatigue et frôler une violente dépression, et vous êtes perdu à tout jamais, pour la course c’est identique.


Les grands navigateurs sont assurément chargés de prudence, comme d’insolence, de sensibilité comme d’endurance, d’anticipation comme d’un gout de prise de risque qui dépasse un peu la norme. Le coureur au long cour ressemble en tout point à cet aventurier des océans… dans un sentier…!


P.S: Merci à Rafi mon vieux loup de mer et montagnard pour tes souvenirs précis et détaillés de cette nuit plutôt mémorable. Merci pour l'aide au récit et les phrases que j'ai pu te voler.

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