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Posljednji Divovi Žumberak…! (Les Derniers Géants de Žumberak…!)


« Voyager c’est découvrir que tout le monde se trompe sur les autres pays. » – Aldous Huxley

 

…C’est alors qu’une fois de plus dans ma vie j’ai dû avoir une discussion de fond avec moi-même. J’ai même dû me réexpliquer simplement, vulgairement, ce qu’était l’action physique de courir. Chose, qui une fois mise simplement à plat, redevient instantanément tout juste une bête action, un vulgaire mouvement mécanique, de la robotique primaire. Comme quoi dans la vie, mieux vaut ne rien tenir pour acquis, même les évidences. Quelquefois il suffit de redéfinir les bases toutes simples des grands fondements, pour instantanément retrouver la jeunesse et la fraicheur d’une idée. Je suis donc passé d’une marche un peu pénible, à un trot disgracieux, à un galop un peu chaotique, puis à un sentiment de fraicheur dans tout mon corps, puis finalement à une véritable sensation de vitesse. (À noter l’utilisation du mot sensation.)

 

…C’était la nuit, un peu avant minuit et bien après la pleine lune. Les loups hurlaient sur les sommets éparses et invisibles de ces montagnes devenues indiscernables à leurs tours tout autant que l’horizon. C’est à ce moment, dans les montagnes et les prairies sombres de ces terres inconnues, que je me suis mis à croiser des corps sombres et flous en mouvement. En mouvement douloureux. Des corps fatigués. Des âmes vaporeuses. Seules. Courant sur une simple ligne zigzagante tracée dans l’herbe, dans la terre, dans la pierre. Le faisceau de ma lampe frontale finissant par faire apparaître des corps fantomatiques devant moi, que je rattrapais inévitablement, pour inévitablement, une fois dépassés, me retrouver encore seul dans l’abysse de ce pays inconnu. Sachant que j’arrivais, que j’arrivais au bout, au bout de cette épopée. C’est dans cette nuit noire d’encre, après avoir quitté les montagnes, pour rejoindre ces prairies, puis finalement quitter les prairies pour entrer dans ce village de fables et de contes fées. Ce village côtier, avec son port et son odeur caractéristique de sel et d’algues. Longer les bateaux amarrés à leur ponton, les chaloupes à leur mouillage. Puis parcourir les toutes petites rues médiévales, à la course, désertes à cette heure tardive, mais tellement grouillante d’âmes invisibles. Reconnaître les commerces, les bistros fermés, aperçus la veille, c’était bien avant le départ, une éternité il me semble et un clignement d’œil en même temps. Et puis passer cette arche qui détermine le début du long couloir qui mène lui, à la grande arche finale. Savoir que c’est maintenant mission accomplie, savoir que cette aventure se termine, savourer les dernières foulées. Puis entendre quelques cris devant, des cris d’encouragements, des cris pour annoncer l’arrivée d’un nouveau corps fantomatique dans la nuit floue…

 


Depuis le début des temps, les géants existent dans les légendes croates. En Istrie, les Hajdi et leur force surhumaine auraient permis de construire de nombreuses cités sur les montagnes tels que Motovun, Grožnjan, Sovinjak, Završje, Roč et Vrh. Après avoir fini leur travail, ils construisirent la plus petite ville du monde, « Hum », au moyen des pierres restantes. Dans la mythologie vieux-slave, ces créatures sont mentionnées dans le cadre de la guerre entre les forces de la lumière et les forces de l’obscurité, lors de laquelle, après la victoire de la Lumière et du bien, les géants vaincus créèrent les îles de l’Adriatique.

 


Contrairement à bien des enfants, depuis toujours mon monde imaginaire a toujours plutôt été peuplé de géants robustes que de mignonnes fées en apesanteurs. Encore aujourd’hui, combien de fois je me suis retrouvé devant des paysages surhumains que seul une tribu de géants aurait pu construire, réaliser, mettre en place. Combien de fois devant un immense bloc de granite au milieu de nulle part, je m’imagine encore cette immense main déposée délicatement cette pierre grosse comme une petite maison, là, puis la laisser là pour les siècles à venir. Elle me plait bien cette légende de géants Croates construisant tous ces villages haut perchés sur cette terre d’Istrie que je me retrouve à courir aujourd’hui.

 

 

Ces géants étaient si grands que leur tibia était de la taille d’un homme moderne. Ils étaient si forts qu’ils pouvaient sans effort arracher les chênes centenaires et leurs racines de la terre pour s’en faire un bâton. Les collines romantiques d’Istrie constituaient leur terrain de jeu.

 


Je réalise aujourd’hui, qu’au moment de prendre la décision d’aller courir sur la terre des géants, en Croatie, ma décision ne reposait que sur la position de cet événement dans le calendrier. Et que ma seule motivation était qu’elle tombait pile au bon moment dans mon année sportive et professionnelle. Étrangement rien de ce que j’y ai découvert n’avait même effleuré mon esprit, rien de tout cela n’avait nourri mes rêves. Encore à mon âge, je ne demande qu’à être surpris, surpris par la beauté, par l’histoire. Une fois sur place, j’ai vite réalisé que je n’étais pas seulement en Croatie, mais bel et bien en Istrie. Une région d’Europe débordante d’histoire. Une province Croate avec sa propre identité, directement sculpté des pierres de son passé rocambolesque. En passant par les Illyriens, l’Empire Romain, l’Empire Byzantin, l’Invasion Bulgare et Slave, les Carolingiens, la République de Venise, les dominations impériales Italiennes et françaises, les Guerres Napoléoniennes, la guerre Austro-Prussienne, le Royaume de Yougoslavie, le traité de Versailles, la prise de Rijeka par les Serbes, le traité de Rapalo, l’invasion Allemande de 1941, la première Fédération de Yougoslavie, les massacres de Foibe, les redécoupages territoriaux, la guerre Yougoslave, puis l’indépendance de la Croatie.

 


L’idylle forestière des géants dans la région a duré jusqu’à l’arrivée de l’homme. Au fil du temps, la population augmenta tellement que les hommes commencèrent à chasser les Hajdi qui se défendirent de « l’invasion humaine » en construisant des barrières faites d’immenses rochers et d’arbres. C’est ainsi qu’est née la tradition actuelle consistant à clôturer les terres au moyen de barrières dans la région d’Istrie.

 


…C’était dans la noirceur de l’aurore, debout, en attente dans cette fraicheur Adriatique d’avril. Tous ces corps et ces esprits venant de partout sur le globe attendant la libération, attendant qu’on les laisse mettre un pied devant l’autre pour accomplir ce que chacun est venu accomplir. Cette masse d’humain, tentant de réaliser ce que la grande majorité de l’humanité considère comme impossible. J’ai toujours dit et je le dirai encore et toujours : « Ceux qui pensent que c’est impossible, sont prié de ne pas déranger ceux qui essaient! ». C’est près de soixante-cinq langues différentes qui se font entendre avant même la levée du soleil sur cette ligne de départ Croates. Un coureur d’origine Iranienne devant moi, semble déjà se demander pourquoi est-il là, à s’infliger un tout petit plus treize degrés Celsius, un froid Sibérien pour lui. Le pauvre garçon, grelottant de tout son être, les dents qui claquent entre elles, son corps prit de spasmes, alors que le loup nordique que je suis se disais justement « Quel beau temps pour courir 110 kilomètres ce matin! ».

 


Le départ est finalement lancé avec les premières lueurs de soleil apparaissant de l’autre côté de la montagne nous faisant face, avec en silhouette la découpe sombre d’un village médiéval, avec son long cloché effilé pointant vers le ciel. C’était alors le début d’une longue journée en même temps si courte. Le début d’une nouvelle aventure. Puisque parcourir 110 kilomètres en montagne par la force simple de vos jambes et de votre esprit ne peut être qu’une aventure, rien d’autre. La suite n’est qu’une longue et belle succession de ravitos, de paysages inconnus et d’émotions connus. Les mêmes qui font que nous continuons tous à aimer et à pratiquer ce sport et qui ne font qu’aucun des Moldus de cette planète ne peut à aucun moment comprendre ce que chacun des coureurs de cette ligne de départ est venu chercher ici. Des rencontres, des bonheurs, des situations hors du commun, des coups durs, des moments inoubliables, des souvenirs, des images. Courir ce genre de distance, demande une capacité de résilience et surtout d’abandon total. C’est un peu comme laisser son corps entre les mains d’une équipe chirurgicale. Vous devez inévitablement leur faire confiance, allongé sur la table d’opération, au moment où vous sentez que l’anesthésie vous emporte, il vous faut inévitablement vous abandonner au savoir-faire de cette même équipe. Se lancer sur un 100 Kilomètres et plus, c’est devoir inévitablement s’abandonner au processus, faire confiance au plan, mais avec vous dans le rôle du chirurgien. Ce qui signifie prendre les bonnes décisions souvent cruciales au cours de ce très long périple parsemé d’embuches et de situations hors normes.

 

J’ai partagé la route avec des dizaines de coureurs, certains distants, d’autres trop bavards, des curieux, des anxieux. Mais j’ai surtout partagé ma route avec un coureur Japonais, sans bâton de montagne, utilisant une simple branche récupérée sur le bas-côté d’un sentier. Avec une simple petite gourde à la main, qui ne disait pas un mot d’Anglais, ni de Français et encore moins de Croate et pourtant nous nous sommes compris et respecté durant des heures et des heures. A un moment dans le village haut perché de Motovun, mon collègue Japonais avait un peu d’avance sur moi. Je l’ai alors vu s’arrêter à une maison, joindre les mains et saluer à répétition, comme le font si bien les Japonais, dans ce qui m’avait l’air d’être l’encadrement d’une porte. Pour, après plusieurs révérences, voir une main tendue lui redonner sa gourde pleine d’eau. Une fois devant la maison moi-même, j’ai réalisé, que c’était une boutique de fleurs, et que la fleuriste était en train d’arroser ses fleurs quand mon Japonais est passé devant elle, s’est arrêté et lui a simplement demandé dans sa langue de lui fournir un peu d’eau de son arrosoir à lui aussi, ainsi qu’à ses fleurs.



Les derniers géants vécurent sur la montagne d’Hajdovčak, à laquelle ils donnèrent leur nom et qui renfermeraient encore leurs grands os. Aujourd’hui, la terre des géants fait partie du Parc naturel de Žumberak, dans laquelle vous pourrez vous convaincre, au moyen de vos sens, que les Hajdi vivaient autrefois dans le paradis sur terre.

 


…C’était la nuit, un peu avant minuit et bien après la pleine lune. Les loups hurlaient sur les différents sommets invisibles de ces montagnes devenues indiscernables à leurs tours. C’est à ce moment dans les montagnes et les prairies sombres de ces terres inconnues, que je me suis mis à croiser des corps sombres et flous en mouvements… …Et puis passer cette arche qui détermine le début du long couloir qui mène lui, à la grande arche finale. Savoir que c’est maintenant mission accomplie, savoir que cette aventure se termine, savourer les dernières foulées. Puis entendre quelques cris devant, des cris d’encouragements, des cris pour annoncer l’arrivée d’un nouveau corps fantomatique dans la nuit floue. Quelques applaudissements. Les sons s’accentuant, grandissant. Puis le dernier virage, sur la grande place du village. Voir mon amoureuse, toujours là, malgré l’heure et la fraicheur de l’air marin, un peu grelottante, mais présente. Puis passer cette grande arche finale… …Et puis réaliser simplement que je venais de parcourir plus de 110 kilomètres à la course. Et me rendre compte que c’était tout simplement dans mon ADN. Passer cette ligne pour réaliser que rien n’avait changé, que j’étais encore la même personne, mais plus tout à fait le même coureur. Passer l’arche, marcher jusqu’à la voiture, rentrer à l’appartement, prendre une douche, et se coucher comme n’importe quel autre jour de sa vie. Une barrière, ou un simple pion, venait d’être avancé tout banalement. Juste une case plus loin sur l’échiquier d’une vie.



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